L'imprudence, Loo Hui Phang : dépaysement

L’image contient peut-être : 1 personne•UNE PERTE DÉVASTATRICE•
 
🦊 Perdre un être cher, une banalité ? Le premier enterrement auquel j’assistais était celui de ma grand-mère, à 27 ans je découvrais le deuil. Chacun réagit différemment, certaines personnes restent impassibles, comme si la mort à force de la côtoyer, leur était indifférente. Certains prennent des photos, d’autres sont la pour faire le nombre. Loo Hui Phang a aussi perdu sa grand-mère alors qu’elle ne l’avait vu que quelques jours dans sa vie. Le déchirement d’un départ de proche est déchirant, ne plus entendre sa voix, ne plus contempler son regard, ne plus rire avec elle, d’un claquement de doigts tout change et s’évapore. Est-ce cette similitude somme toute classique, qui m’a fait tomber en pâmoison devant ce premier roman ? Ou est-ce cette plume acérée si merveilleuse que l’auteure arrive à me transmette par le prisme des émotions épurées ? La narratrice aime les plaisirs charnels, pourquoi s’en priverait-elle, pourquoi se cacher derrière la raison et la triste réalité ? S’assumant en tant que femme qui a aussi des désirs, elle contemple son frère qu’elle avait tant admiré, lui qui se laisse abattre après chaque difficulté. Ce roman c’est aussi le témoignage d’un amour fraternel avec ce frère qu’elle ne reconnaît plus, ce frère qu’elle admirait. Ce frère qui ne l’aime pas comme elle aimerait, où le ressort en devient cassé. Le fait que son frère soit le préféré, le vietnamien modèle n’aide pas, la narratrice en développe une analyse qui la met à la marge de cette famille. Y a t-il une réelle place pour un enfant aux envies différentes dans une famille traditionnelle ?•••
 

🦊 L’autre thème fort du roman demeure celui de l’identité. Toutes ces cultures se mélangeant, chaque individu doit arriver à trouver sa place à travers les diktats familiaux. Il n’est jamais simple de s’en affranchir totalement, combien sommes-nous à avoir fait des compromis pour correspondre à ces fameux critères ? La narratrice opte pour une sensualité et une douceur incommensurable.
Quand on est jeune, un deuil n’a que peu de conséquences, mais ce déchirement, cette cérémonie qui glace, qui fait mal, qui provoque une douleur atroce est fondateur. Tout le monde se rappelle de son premier enterrement, celui qui marque, celui qui forge, l’auteure transcrit ces sentiments la comme personne avec une simplicité confondante. Ce petit bijou que bien peu ont lu, doit être découvert par d’autres lecteurs. Vous serez forcément envoûté par l’écriture si subtile mais aussi par le charme de cette culture qu’on visualise des les premières phrases••• 

🦊 Si le roman paraît court pour certains, je l’ai trouvé étiré dans le temps, suspendu dans l’espace, chaque page se forgeant entre élasticité et pugnacité. Retourner au Laos fut une épreuve, elle qui se retrouvait trop libre et indépendante pour ce pays gorgé d’un passé tumultueux. Cette famille en vase clos est parfaitement décrite par l’auteure, on les voit, on les touche, on les effleure, on les imagine sans aucune difficulté. Le poids des objets ayant appartenu à un défunt, devient capital, chaque parcelle qui relie ce dernier, en devient source d’émotion. Ce premier roman au delà d’être écrit d’une façon déliée et envoûtante, est une claque de lucidité dans la douleur. Écrire sur le deuil est loin d’être aisé, l’humour peut être une porte, mais Loo Hui Phang en ouvre une autre que je trouve admirable•••

🦊 Éditions Actes Sud, Août 2019•••

🦊 Extrait : « Si nous n’avions pas quitté Savannakhet, nous serions ainsi. Frère et sœur unis dans une douleur complice. Votre intimité me rejette à la lisière de cette scène dont je deviens l’indécente observatrice. Et comme vous vous entretenez dans un vietnamien limpide, avec une aisance qui me sera à jamais inaccessible, je me sens définitivement hors-jeu. La famille idéale, c’est vous. Moi, je suis une anomalie de l’Histoire »

Commentaires

  1. Je suis très tentée, encore plus après la lecture de ta chronique. Merci.

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