Mon nom dans le noir, Jocelyn Nicole Johnson
Seize âmes, ballottées par les flots de la désagrégation sociale, s'échouent sur les terres de Monticello, ancien domaine de Thomas Jefferson, comme une armada de Robinsons Crusoë de leur propre existence. La ville qu'ils connaissaient autrefois est désormais livrée aux "milices de supermarché" et à l'idéologie d'une blancheur exclusive, plongée dans un chaos exacerbé par les affres du changement climatique.
Parmi ces réfugiés, Da'Naisha Love, arrachée à sa vie d'étudiante, retrouve un lieu qui lui est familier pour y avoir travaillé un été. Un lieu marqué par l'empreinte indélébile de l'esclavagisme, ancrée dans l'histoire complexe de sa propre descendance. C'est MaViolet, à "aux mains tremblantes", qui lui a transmis ce lourd héritage. C'est avec elle, et avec son petit ami Knox, son ex Devin bouillonnant de "colère intense", et leurs voisins, blancs pour la plupart, qu'elle a fui First Street à bord du Jaunt pour se réfugier à Monticello.
Le récit de Love, unique narratrice, nous plonge dans les méandres de ce groupe hétéroclite, marqué par la violence latente de certains de ses membres. Une méfiance initiale se mue peu à peu en une solidarité fragile, puis en un véritable havre de fraternité au sein de Monticello. Unis contre un monde extérieur déchiré par la haine grandissante, ils tentent de se protéger d'une menace qui se fait de plus en plus pressante.
Jocelyn Nicole Johnson nous entraîne dans un premier roman court et percutant, situé dans "un nouvel âge sombre où tout s'est vu affranchi". Une ambiance apocalyptique, à peine futuriste, à peine dystopique, plane sur ces pages. L'auteure joue avec brio du temps, oscillant entre un présent inspiré des émeutes raciales de Charlottesville et un passé hanté par les spectres de l'esclavagisme. La voix troublée de Thomas Jefferson, prédisant "des convulsions qui ne pourraient qu'aboutir à l'extermination de l'une ou l'autre race", résonne de manière troublante.
Propulsés dans un chaos social où les questions raciales restent brûlantes, les personnages nous confrontent à la violence et à la haine qui gangrènent la société. Mais au-delà de l'horreur, l'auteure nous offre des lueurs d'espoir, des soubresauts d'humanité et de tendresse qui éclairent la noirceur. Des échos de Toni Morrison se font entendre dans la description de l'esclavagisme, tandis que Colson Whitehead nous accompagne dans l'exploration de la question raciale ancrée dans un lieu précis, ici l'emblématique Monticello. On pense également à Anthony Doerr et à son ode au pouvoir des livres et de la culture, seuls antidotes à la barbarie humaine.
Mon nom dans le noir est une lecture puissante et inoubliable, qui nous invite à une réflexion profonde sur les plaies béantes de l'histoire américaine et sur la résilience de l'esprit humain. Un roman poignant et bouleversant qui ne manquera pas de vous marquer durablement.
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