Nous vivrons, Joann Sfar
Une mise en scène du réel comme acte politique
Le ton est d’abord intérieur : à Nice, Sfar dialogue avec son père, son grand-père résistant, ses amis. Il y angoisse, interroge ses fantômes, sombre parfois dans la désolation : il écrit, la nuit, insomniaque et pétri de questions. Son dessin, imprégné de bleus aquarellés, capte la désorientation du deuil collectif et individuel .
Puis, le récit s’élargit. Sfar devient reporter : Israël, Jaffa, Nazareth, Tel Aviv. Il recueille des témoignages de Juifs, d’Arabes, d’artistes, de professeurs, confrontant son questionnement personnel aux réalités du terrain. Le document prend forme : ce n’est plus seulement un cri, mais un instrument de compréhension.
Complexité plutôt que clichés
Sfar refuse les réponses simplistes et les positions radicales. Il critique l’antisémitisme décomplexé, mais aussi les silences trop volontaires, « le tissu des conversations » déchiré depuis le 7 octobre. Il va chercher la nuance : le mot « Palestinien », les contradictions des sociétés juives et arabes, la responsabilité partagée dans l’injustice.
On comprend, en effet, que « seules la complexité et la nuance valent », au risque d’étouffer les certitudes. Ce roman graphique, malgré son épaisseur (456 pages), préfère le questionnement radical à l’affirmation dogmatique.
Entre émotion viscérale et rigueur documentaire
Les aquarelles bleues, souvent sombres, expriment l’effroi, la colère, la tristesse. Les critiques n’hésitent pas : « Un album au trait noir, couleur aquarellée bleu gris, (…) très documenté » ; ou encore : « un carnet intime très dense… passionnant… éprouvant ». Plusieurs saluent la force de son « cri de sidération, d’effroi et de chagrin très documenté »;
Ce cri s’accompagne pourtant d’un esprit journalistique : chronologie des événements, données historiques, échanges et interviews. Sfar assume pleinement son rôle d’enquêteur – pas journaliste professionnel, mais observateur engagé;
Un message d’espérance et de responsabilité
Malgré l’horreur, Nous vivrons assume un impératif éthique. Le titre, dérivé du mot hébraïque Lehaïm (« à la vie »), est un défi ‑ et peut-être un appel : la survie comme acte collectif et humble;
Sfar conclut ainsi : « Je n’ai pas d’autre arme que les livres », mais ces mots sont lourds de puissance. Il offre un document de référence : historiquement informatif, humainement vibrant, politiquement nécessaire.
En conclusion
Nous vivrons ne prétend pas détenir la vérité, mais il la convoque par la nuance, le témoignage, l’émotion. Il transforme la bande dessinée en espace de réflexion sur l’identité, la mémoire, la responsabilité. Plus qu’un roman graphique, c’est un acte de survie – intellectuelle, spirituelle, collective.
Un ouvrage lourd de sens, qui ébranle autant qu’il nourrit l’espoir.
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