La mémoire délavée, Natacha Appanah

 La Mémoire délavée par Appanah

Dans un premier chapitre riche en incertitudes, en questionnements et en poésie, Natacha Appanah nous entraîne dans l’univers énigmatique des murmurations d’étourneaux, métaphore subtile qui ouvre sur une profonde interrogation : qu’est-ce que la mémoire ? Dans La Mémoire délavée, l’autrice propose à la fois une méditation sur le fonctionnement de la mémoire et un récit poignant sur les origines familiales.

Entre 1834 et 1920, après l’abolition de l’esclavage, les colons se heurtent à une pénurie de main-d’œuvre. Dans un contexte de misère endémique, notamment en Inde, ils font venir à grand renfort des bateaux des travailleurs à bas coût, destinés à labourer les vastes plantations de canne à sucre de l’île Maurice. Ce système, connu sous le nom d’engagisme, transforme à jamais le destin de milliers d’hommes et de femmes.

Pour Appanah, l’histoire familiale se révèle être une succession d’images embellies par la mémoire. Contrairement à ce qu’elle croyait – ou voulait croire – selon lequel ses arrière-grands-parents seraient arrivés sur l’île Maurice au début du XXe siècle, elle découvre, grâce à trois fiches d’archives en sa possession dès 2022, que c’est le grand-père de son grand-père qui fut le premier à poser le pied sur cette terre, dans les conditions bien connues du labeur imposé. « Mon esprit les a lavés, ces ancêtres, essuyé leurs visages, coiffé leurs cheveux, habillé de vêtements propres, éloigné des cales de bateaux et de la perspective du labeur quotidien des champs de canne. C’est une image presque proprette. C’est une mémoire délavée », écrit-elle (p. 30).

Loin de se limiter à une chronique familiale, l’autrice explore la transmission des souvenirs à travers les générations, tout en reconnaissant les détours, les oublis et les transformations inévitables d’une mémoire vivante. Avec une sincérité désarmante et des retours sur soi touchants, elle se questionne sur la transmission volontaire de ces récits intimes, consciente de la gageure que représente la quête d’un souvenir « vrai ».

Sous le charme de son écriture, je reste captivé par la forme qu’elle donne à cet ouvrage, où se mêlent interrogation, hésitation et amour pour une histoire familiale marquée par la douleur et la résilience. Ce livre, empreint d’une humanité profonde, se révèle être une véritable ode à la mémoire, à la fois fragile et éternelle.

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