Reus 2666, Pablo Martin Sanchez

 Reus, 2066 - Zulma

Imaginez un futur où les décisions politiques redessinent brutalement la carte du monde. En 2066, un accord entre les puissances occidentales condamne l’Espagne à devenir une immense base militaire, vidée de ses habitants. Si la plupart acceptent de partir, certains refusent de plier. Douze d’entre eux se retranchent dans un ancien hôpital psychiatrique de Reus, le Pere Mata. Parmi eux, un écrivain vieillissant, témoin direct de ce qui s’annonce comme la fin d’un monde.

Pablo Martín Sánchez construit son roman comme un journal intime, un témoignage pris dans l’urgence, alors que la résistance s’effrite sous la pression du temps, de la faim, des pillards et du chaos ambiant. Derrière cette dystopie saisissante, c’est la question de l’exil forcé qui est posée. Que reste-t-il quand une nation décide d’effacer une partie de son territoire et de déraciner ses habitants ? La fiction résonne avec l’actualité : guerres, pandémies, crises climatiques, tensions identitaires... L’histoire n’a rien d’invraisemblable.

Ce qui frappe ici, c’est la justesse du ton. L’auteur ne se perd pas en explications pesantes sur le contexte géopolitique. Il distille les éléments au fil du récit, en laissant parler le quotidien des protagonistes. Son véritable sujet, c’est l’humain. Ce vieil écrivain, alter ego de papier déjà présent dans L’Anarchiste qui s’appelait comme moi et L’Instant décisif, est un personnage fascinant, entre ironie et mélancolie. Son regard sur le monde, son rapport à l’écriture et aux autres, tout cela donne au texte une profondeur rare.

Le huis clos du Pere Mata aurait pu tourner en rond, sombrer dans la monotonie. Il n’en est rien. Les tensions, les dilemmes, les trahisons et les pertes maintiennent une tension constante. L’écriture, précise et fluide, capte ces instants de doute et de rage avec une maîtrise impressionnante. Ajoutez à cela des références littéraires et philosophiques habilement glissées, jamais gratuites, et vous obtenez un roman à la fois intelligent et captivant.

Ce qui me touche particulièrement, c’est cette réflexion sur la fiction elle-même. Pourquoi écrit-on ? Pourquoi arrête-t-on ? L’auteur glisse une phrase qui résonne longtemps après la lecture : « J’ai toujours cru que j’avais cessé d’écrire pour devenir un bon père. Je me rends compte maintenant que c’était parce que j’avais cessé de croire à la fiction. » Une confession qui s’inscrit dans la lignée d’écrivains comme Enrique Vila-Matas, jouant sur les frontières entre réel et imaginaire.

Reus, 2066 est une découverte marquante, un roman qui bouscule autant par son intrigue que par ses questionnements. Il m’a donné envie de plonger dans l’univers de Pablo Martín Sánchez et de remonter le fil de son œuvre.

Commentaires

Articles les plus consultés