Un père sans enfant, Denis Rossano, Éditions Allary

 •UN FILM PAS COMME LES AUTRES•
📽 Si tu étais un lieu tu serais une cinémathèque. La bande-annonce est simple. Douglas Sirk de son veritable nom Detlef Sierck,est un des plus grands réalisateurs allemands, reconnu sur le tard comme tant de génies. Alternant le récit réaliste du narrateur et le passé du réalisateur, le rythme ne diminue jamais. Une famille idéale, célèbre dans une Allemagne pacifiée. Lorsque tout bascule lorsque la mère de Klaus, en période de fanatisation nationaliste, interdit à Douglas de voir leur fils. Ce fils de quatre ans tant désiré. Il ne le reverra plus sauf à l’écran. Malgré son amour paternel. Douglas Sirk n’avait encore jamais parlé de lui, peu connaissaient son existence. Ce traumatisme profond sera décortiqué tout au long du roman. Avec Hilde, son épouse juive, ils devront s’exiler en Amérique, laissant derrière eux Klaus, avant d’être sali par la nazification du pays. Le rôle ou l’acceptation du réalisateur dans le régime nazi, bien qu’apprécié par Goebbels, demeurera flou. Cette histoire à travers notre écran de lecteur raconte celle d’un fils. En contre-champ parfois. Un fils perdu, dans les yeux de son père, embrigadé par le cinéma nazi pour en être le symbole ultime de la race aryenne. Nulle projection à faire, prenez votre ticket et courez voir cette séance. Chaque scène du livre devient un décor de film. Sur le plateau, tous ces figurants sont en émoi, chacun aura son rôle dans ce travelling incessant. Ce fils qui erre, tout au long du récit tel un spectre, tel un tabou qu’on à peine à extirper. Une honte qui a du mal à s’extraire•••

🎞 Si tu étais un objet, tu serais une pellicule. Dans la pénombre tu révèles tous tes secrets. Fourmillant roman ou biographie romancée, ce livre déborde d’une puissance absolue. Mais la puissance n’est rien sans maîtrise ni délicatesse. Cette histoire en contre-plongée n’est rien sans la culture cinématographique et historique de Denis Rossano, sans ses recherches poussées , sans son cadrage parfait. Nul besoin d’argentique, Douglas Sirk est en pleine exposition. Dans l’œil de Denis Rossano, le génie de Sirk est omniprésent, leur rencontre fut une apothéose. Klaus a t-il joué un rôle dans le génie cinématographique de son père ? Denis Rossano tisse sa toile à travers son propre passé et ses fêlures paternelles pour en tirer une pellicule sans imperfection•••

🍺 Si tu étais une boisson tu serais une bière. Pour symboliser l’Allemagne des années 30. Parce qu’être en immersion à une semaine de la véritable sortie du roman Le procès de Kafka est émouvant. Parce que cette période avant l’horreur était imprévisible. Sans crier gare, l’indicible voyait le jour. La République de Weimar, le passé théâtral du réalisateur abreuvent le récit tel un roman d’aventure. Les descriptions de chaque paysage permettent une visualisation évidente. Lugano où Douglas vivait depuis des années, là où Denis Rossano l’a rencontré pour la première fois, mais aussi le parcours d’une Allemagne en pleine révolution. Au cœur de la propagande nazie. Une bière blonde, fidèle au stéréotype aryen, une bière qui fermente, qui censure le cinéma en 1933 pour en faire un cinéma d’État, un cinéma choisi par Goebbels. Sept films de Douglas Sirk qui ne pourra pas s’exiler dans ses papiers, seront signés avec la UFA, pilier du cinéma allemand et nazi•••

🦊 Au générique de cette lecture, sachez que j’ai rencontré Denis en janvier dernier a @librairiesdeschamp. Il faisait une dédicace et présentation de son livre. Jamais, je n’avais vu pareille démonstration d’une passion viscérale. La délicatesse et l’humilité dont il fait preuve est admirable. En ces périodes de séparation homme et artiste, avec Denis tout est limpide. J’apprécie tout autant l’homme que l’auteur. Je ne vous recommande pas de le découvrir, je vous supplie de découvrir ce livre et cet homme aux si belles valeurs. Action ! Il n’a eu pas eu besoin d’effets spéciaux ni de doublure 🙏🏻

🦊 Éditions Allary, août 2019•••


🦊 Extraits : « Et puis partir, c'est laisser Klaus derrière, entre les mains de sa mère qui essaye d'en faire un parfait petit enfant nazi. Detlef n'a pas vu son fils depuis trop longtemps : le manque se transforme en douleur, il sait qu'il est en train de le perdre. La culpabilité de ne pas s'être battu davantage pour lui le saisit. Un élancement de désespoir écrase sa cage thoracique. » 
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« Gros plan : le visage d’un gamin blond. Ses traits envahissent l’écran. C’est le fantôme de Klaus. C’est Detlef, qui filme son fils arraché, qui en fait un chérubin de l’espoir. Pour lui tout seul, car personne d’autre probablement ne fait le lien. Klaus ne lui appartient plus mais il va désormais hanter son père et son cinéma.» 
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« Le père se demande si son fils se passionne pour cette Égypte qu'il découvre, ou si, avec ses pensées d'enfant viciées par la propagande raciste, il regarde ce monde avec l'arrogance de celui qui a la certitude d'appartenir à une race supérieure.»
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« Mais avouez que l’ironie et le paradoxe sont sacrément uniques , ne puis je m’empêcher d’insister : vous êtes marié à une comédienne juive , vous envisagez de fuir l’Allemagne , et en même temps , vous êtes à l’origine de la star la plus emblématique du III° Reich . C’est assez fou quand on y pense.»



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