Je suis leur silence

 

Eva, psychiatre reconnue, débute cette nouvelle enquête… sur son propre équilibre mental ! Lors d’une consultation décisive avec un illustre confrère, elle se retrouve soudain perchée sur le toit du bâtiment, flirtant avec le vide avant de regagner son fauteuil et de raconter les jours précédents : sur demande d’une patiente fortunée, elle s’est rendue au domaine viticole des Monturós, où l’aristocratique matriarche allait dévoiler son testament.

Très vite, l’atmosphère feutrée du château se fissure : un cadavre apparaît, le premier coup de théâtre d’une intrigue où se mêlent héritages, non-dits familiaux et un lourd passé franquiste. Chargée d’élucider ce mystère, l’inspectrice – étonnante ressemblance avec Angela Merkel, clin d’œil espiègle des auteurs – conduit l’enquête avec rigueur, tandis qu’Eva, fidèle à son instinct de thérapeute, s’ingénie à creuser ses propres pistes.

Le véritable sel de l’histoire tient dans son ton : ironique, parfois acerbe, toujours plein d’esprit. La dynastie des Monturós dévoile ses pires travers : mensonges, œillères idéologiques et secrets de famille s’entremêlent, faisant de chaque salon un champ de mines psychologique. Quant à Eva, elle traîne avec elle un cortège de fantômes – sa grand-mère tutélaire, sa grand-tante gitane coupable du meurtre de son époux torero, et une autre aïeule engagée dans la République – qui l’accompagnent en murmures, l’avertissent ou la poussent vers l’erreur… un chœur intérieur à la fois cocasse et troublant.

Visuellement, Jordi Lafebre confirme son coup de maître : un trait semi-réaliste d’une finesse remarquable, rehaussé par de subtiles touches d’inspiration manga, qui donnent vie aux décors cossus et aux visages tourmentés. Les scènes familiales, savamment cadrées, alternent avec de longs plans silencieux sur le vignoble, accentuant la tension sous-jacente.

Au final, ce nouvel album est un bijou de drôlerie et de tendresse : un polar psychologique où l’on rit autant qu’on s’émeut, où les secrets de famille jouent les premiers rôles, et où une héroïne atypique nous rappelle que l’esprit peut être le terrain de jeu le plus dangereux… et le plus fascinant.