Missak Manouchian

 Missak Manouchian - Une vie héroïque, bd chez Les arènes de Daeninckx,  Mako, Osuch

Ils sont entrés au Panthéon côte à côte, lui et Mélinée, le 21 février 2024 — juste quatre-vingts ans après leur exécution au Mont-Valérien. Ce double hommage, exceptionnel, n’est pas qu’une reconnaissance posthume. Il incarne le destin d’un homme hors normes : Missak Manouchian, survivant du génocide arménien, ouvrier-poète, résistant communiste, militant de l’ombre — jusqu’à sa mort, « à en mourir » pour la France.


Un roman graphique au souffle authentique

Didier Daeninckx, romancier et scénariste, et Mako, dessinateur, signent ensemble une œuvre émouvante : une biographie en BD de 120 pages, augmentée d’un dossier final par l’historien Denis Peschanski sur l’apport décisif des étrangers à la Résistance. Les scènes alternent entre les ombres de l’Arménie, les usines Citroën, les cafés littéraires parisiens où Missak lit Hugo et Pouchkineet les soirées clandestines où se nouent les actions des FTP-MOI — jusqu’à son arrestation en 1943.

Le dessin de Mako, épaulé par les couleurs de Dominique Osuch, capte avec sobriété la matière du passé : les traits épais, les teintes sombres, les visages tendus d’une époque où chaque geste est un acte de résistance. Les pleine-pages d’affiches d’époque, publicités, propagande, donnent une épaisseur documentaire au récit.


Poète errant, soldat volontaire

On découvre Missak enfant, orphelin réfugié à Marseille, puis apprenti métallurgiste et étudiant dilettante à la Sorbonne. D’une passion à l’autre — la littérature, la poésie, le militantisme — se tisse le destin d’un homme foncièrement internationaliste, partisan d’une France universelle. Il traduit Baudelaire, fréquente les cercles arméniens, puis s’engage dans la lutte antifasciste, jusqu’à rejoindre le groupe des Francs-tireurs et partisans – main‑d’œuvre immigrée (FTP-MOI).

La tragédie éclate avec l’« Affiche rouge », campagne de propagande nazie visant à condamner l’engagement des résistants immigrés. Son groupe est trahi, arrêté, jugé. Face à la mort, Missak écrit, dans une lettre à Mélinée, :

« je mourrai… avec le courage et la sérénité d’un homme (…) car personnellement je n’ai fait mal à personne… si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. »

Ces mots, gravés dans le livre, résonnent comme une leçon de dignité et d’amour universel — à mille lieues de la vengeance.


Un ouvrage en équilibre entre émotion et exigence

Ce roman graphique assume pleinement sa dimension de devoir de mémoire : préface de Jean‑Pierre Sakoun, dossier de Peschanski, iconographie d’époque, reproductions historiques . Mais jamais au détriment de l’émotion : la relation entre Missak et Mélinée, l’enfant que la vie n’aura pas laissé grandir, le combat d’un homme contre le silence de l’oubli.

Les critiques saluent unanimement : « album pétri d’émotion, de passion et de rigueur » (Le Point) ; « récit fort… parfait pour comprendre le mot conviction » (DBD) ; « dessin et couleurs à couper le souffle » (TMV Le Mag).


Pourquoi lire Missak Manouchian aujourd’hui ?

Parce que son histoire est un message universel de liberté et d’accueil : un homme né dans le mal, devenu un soldat de la République, son sacrifice un symbole de l’engagement étranger au service de la France. Sa panthéonisation solo et celle de Mélinée soulèvent aussi la réflexion : ne doit-on pas honorer ce groupe entier de 23 résistants immigrés ?

Ce livre, exigeant et poignant, plonge au cœur de la complexité humaine : de l’exil à la lutte, de la poésie à la répression, de l’individu coupable d’amour à l’individu prêt à se sacrifier pour les autres. Un parcours qui invite chacun à se demander : à quel combat sommes‑nous prêts aujourd’hui ?

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