Krimi, Inker et Vermot
🕵️♂️ Un polar à l’envers, flamboyant et anxiogène, au cœur d’une Europe détraquée 🕵️♀️
Krimi, c’est un coup de feu dans la routine graphique, un album comme on en voit peu, à la croisée du roman noir, de la satire politique et de l’expérimentation formelle. Polar ? Thriller ? BD d’anticipation ? Peu importe l’étiquette : ce livre est une plongée glaçante dans un monde qui ressemble au nôtre, mais où tout est déréglé — et ce déréglage, les auteurs le mettent en scène avec une précision chirurgicale.
Tout commence comme un Krimi allemand, ces polars populaires où un flic désabusé enquête sur un meurtre. Sauf qu’ici, l’enquête se transforme vite en vertige. La corruption gangrène tout. La violence est sourde, bureaucratique, banalisée. Derrière les dialogues laconiques, les décors oppressants, se dessine le portrait d’une société au bord du burn-out moral, où la justice est un théâtre grotesque.
Visuellement, Krimi impressionne. Le trait est tendu, les cadrages précis comme des caméras de vidéosurveillance, les couleurs sobres et glaçantes. Les planches s’enchaînent comme les plans d’un film paranoïaque — on pense à Fritz Lang, à La Vie des autres, mais aussi à du David Fincher revisité en BD européenne. L’ensemble produit un sentiment d’étouffement maîtrisé, parfaitement orchestré. Pas de spectaculaire gratuit ici, mais une tension continue, presque physique.
Le récit, quant à lui, joue avec les codes pour mieux les retourner. Ce n’est pas une enquête pour trouver la vérité, mais pour montrer qu’il n’y a plus de vérité stable. Les pistes s’effacent, les personnages deviennent flous, les motivations s’érodent. Tout est ambigu, et c’est cette ambiguïté qui fait la puissance du livre : Krimi ne nous dit pas quoi penser, il nous place au cœur d’un labyrinthe moral et nous laisse seuls avec notre inconfort.
C’est noir, c’est brillant, c’est parfaitement exécuté. Krimi est une BD rare : un polar qui refuse la facilité, une critique sociale qui évite le didactisme, un objet visuel radical.
Un album pour lecteurs exigeants, en quête de formes nouvelles, d’histoires qui cognent, et d’une vérité qui se dérobe toujours un peu.
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