Le jeune bourreau, Thomas Misrachi
🖤 Un récit à vif, au bord du gouffre, tenu par la grâce de l’écriture 🖤
Il y a des livres qui dérangent sans provoquer, qui bouleversent sans crier, qui disent l’indicible sans jamais tomber dans l’obscène. Le Jeune Bourreau de Thomas Misrachi est de ceux-là. Un récit court, mais à la densité émotionnelle rare, une confrontation entre deux hommes — l’un mourant, l’autre vivant, mais tous deux porteurs d’un même passé, d’un même secret.
Ce livre commence par une question brutale, sèche comme une gifle : « Tu es venu m’assassiner ? » Et dès lors, le ton est donné. Le narrateur, journaliste, revient voir Roger, figure tutélaire et terrible de son enfance. Ce n’est ni un règlement de comptes, ni un pardon. C’est autre chose : une tentative désespérée de regarder dans les yeux celui qui a brisé, d’essayer de comprendre sans justifier, de dire enfin ce qui, pendant 45 ans, est resté tu.
Dans une langue tenue, claire, jamais emphatique, Misrachi explore le souvenir d’un été silencieusement dévastateur. Il évoque l’enfant qu’il a été, le jeune homme qu’il est devenu, et la trace laissée par celui qu’il nomme un « presque bourreau ». Il ne s’agit pas ici d’un récit judiciaire ou d’un témoignage explicite : tout est dans l’allusion, dans les creux, dans ce que l’auteur parvient à approcher sans le nommer complètement. Et c’est cette pudeur, cette retenue, qui rend le livre d’autant plus bouleversant.
Le texte est hanté par la douleur, mais aussi traversé par une forme d’élégance. L’auteur ne cherche ni la revanche ni l’apitoiement. Il écrit pour ne plus être hanté. Il écrit pour que le silence, enfin, se brise, et que la honte change de camp. L’hôpital, lieu de la rencontre finale, devient théâtre d’un face-à-face autant physique que symbolique, dans une ambiance de fin du monde où il reste pourtant quelque chose de profondément humain.
Le Jeune Bourreau est un livre important. Parce qu’il parle du trauma, de la sidération de l’enfance, du long travail de résilience. Mais surtout, parce qu’il le fait avec une justesse admirable, une pudeur rare et une écriture magnifique. Ce n’est pas un cri : c’est une déflagration intérieure, qui laisse le lecteur silencieux, bouleversé, et reconnaissant.
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