Le parlement de l’eau, Wendy Delorme

Dans ce roman, l’eau est souveraine. Elle gouverne les destinées, elle impose son rythme, elle rappelle que l’humain ne règne que par illusion. Delorme construit un monde à peine futuriste, assez proche pour qu’il nous ressemble encore, assez différent pour que la dystopie ait le goût amer d’une prophétie. La sécheresse y n’est pas une menace : elle est une certitude. L’effondrement n’est pas un choc : c’est un glissement progressif, un enfoncement dans la fange de nos choix.
Face à cette réalité, l’autrice invente un parlement : un espace où humains, animaux, plantes, rivières et pluies tentent de trouver un territoire commun. Il ne s’agit plus de débattre de l’eau, mais avec l’eau. Et dans cette simple préposition se loge toute la révolution du livre : la déconstruction tranquille de l’anthropocentrisme. Delorme n’assène rien ; elle raconte, elle incante, elle déplie ce que pourrait être un monde où l’on renonce à dominer.
L’écriture de Wendy Delorme oscille entre la douceur d’un ruissellement et la brutalité d’un torrent. Elle mêle les voix, les vitesses, les sens, comme si chaque chapitre cherchait à imiter un état de l’eau : stagnante, souterraine, tempétueuse, à peine visible. Il y a des fragments méditatifs, presque philosophiques, puis des scènes de tension sèche, où l’on entend les craquements des terres arides et les respirations inquiètes de personnages qu’on devine déjà épuisés par l’époque.
Ce qui bouleverse surtout, c’est la façon dont l’autrice nous oblige à réapprendre à regarder. Le roman nous place à hauteur de mare, de gouttière, de brouillard. Il restaure une humilité perdue. On y lit la fragilité du vivant non comme un constat mélancolique mais comme un appel, un réveil, une promesse ténue. Le Parlement de l’eau murmure que la fin n’est jamais totale tant que les relations peuvent encore être réinventées.
Rien n’est naïf, pourtant. Le livre sait que les sociétés humaines sont lentes à comprendre et rapides à saccager. Il sait aussi que les catastrophes n’arrivent jamais seules mais en cascade — comme les eaux que l’on détourne, endigue, canalise jusqu’au point où elles finissent par revenir, plus violentes, plus souveraines. Ce texte dit la réalité écologique avec la précision d’un essai mais la force imaginale d’une fable. On le lit comme on écouterait un oracle.
Le Parlement de l’eau n’offre pas de solution. Il offre mieux : un déplacement du regard. Il nous rappelle qu’avant d’être un droit, l’eau est une présence, une temporalité, une manière autre de penser le monde. Et si nous réapprenions à négocier, non entre nous, mais avec ce qui nous dépasse ? Wendy Delorme nous tend ce miroir liquide où se reflète tout ce que nous refusons de voir : notre responsabilité, mais aussi notre possibilité de recommencer.
Roman-écho, roman-source, roman-marée, c’est un livre qui résonne longtemps après la dernière page. Un livre qui mouille la conscience et irrigue l’imaginaire. L’eau n’y est plus un élément : elle est la condition même de notre avenir, l’encre invisible avec laquelle s’écrit le monde.
Commentaires
Enregistrer un commentaire